L’Intelligence Artificielle n’existe pas…

Tout est affaire de sémantique. Derrière ce titre provocateur, la réalité se cherche une voie, entre effet de mode, disruption, risques et opportunités. Devant l’avalanche de papiers, tantôt apocalyptiques, tantôt futuristes, au rythme d’une technologie effrénée, les applications de l’#IA sont elles, bien réelles. Mais s’agit-il bien d’intelligence ? Telle qu’elle est aujourd’hui définie, sans doute non, et j’ai bien peur qu’il faille rapidement y trouver une autre définition. Les machines, certes puissantes et multipliant les défis, sont aujourd’hui encore pilotées et conçues par des ingénieurs eux bien réels et la machine est encore bien loin d’intégrer les émotions. Pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur parce qu’il reste encore à l’humanité cette fraternité, cette liberté de jugement et ce libre-arbitre, le pire parce que ces émotions peuvent être parfois catastrophiques dans la prise de décision. Nous assistons sans doute à une configuration idéale où la machine prépare sans peine des calculs et des résultats pour l’homme, et accélère ainsi la connaissance immédiate pour des décisions optimisées.

Dieu, le grand architecte, l’homme a donc le meilleur immédiat sans faute, pour décider de son quotidien. Le « deep learning » ou « machine learning » font ingurgiter des quantités de données et de connaissances incapables sinon d’être digérées par le cerveau humain. Mais cela ne saurait être de l’intelligence, n’est-ce pas ? Parfois, on parle de « robotique cognitive » ou encore de « techno-science décisionnelle » Au mieux, des performances en acquisition de connaissances inégalées, et désormais inatteignables pour l’homme. Donc acte.

Le Grand Remplacement

Sans vouloir citer Houellebecq, et sa démonstration de plan social déguisé chez nos agriculteurs, l’#IA va créer une révolution à son image : froide, rapide, automatique, à l’instar des révolutions de l’écriture, industrielle et informatique. On s’en est toujours remis, sur le long terme on peut le penser. Mais le long terme sacrifie des générations sur un terme plus court, et la question c’est bien « comment tirer le meilleur parti de cette nouvelle révolution, mais pour tous ? ». Sans doute en étant conscient, sans déni que ce futur est déjà là et qu’il faut le dompter. Secteur par secteur, métier par métier pour optimiser ce qui peut (doit ?) l’être, sans mépris de la valeur travail et des organisations existantes. La technologie est très souvent un réel progrès intrinsèque, mais le culte du profit la transforme, la détourne de son objet originel : améliorer la vie de chacun. Il ne faudrait donc pas voir peur du grand remplacement (il est inéluctable), mais plutôt de transformer en mieux pour tous. A court terme, c’est une utopie, sauf si on l’anticipe. Et l’anticipation, c’est le rôle des leaders pour l’existant et de l’éducation pour le futur.
Pour les leaders, le risque est grand : tout changement est anxiogène et bourré d’incertitudes, aussi on préfère souvent le rôle de (fast ?) follower à celui d’innovateur.

Si la technologie regorge de POC en tous genres, les ROI et les espérances de gain avec l’#AI sont encore incertaines. Tout simplement car toute version d’#AI, même auto-apprenante a du mal à être amortie. Doit-on investir dans quelque version qui va être très rapidement dépassée ? Mais surtout, l’#AI pousse plus que de nature au changement, massif et brutal parfois et accélère la nécessité des décisions. Et la casse est souvent encore pour l’emploi, car les emplois crées ressemblent peu aux emplois détruits et les potentialités de formation et de transformation encore une fois à court terme, sont faibles. Même sans intelligence, l’#AI est bien le meilleur et le pire.  Etant prévenu et rien n’étant inéluctable, il faut s’organiser. Comment préparer l’avenir : formation et éducation des plus jeunes semble donc être la solution idéale pour absorber ce mal nécessaire…


L’éducation est-elle préparée à ce choc sans précédent ?

La tâche est gigantesque, passionnante mais avec un secteur peu flexible, qui malheureusement se trompe de client (*). Après la course aux diplômés comme une fin en soi, abaissant partout le niveau moyen de l’éducation, les mutations indispensables ne sont toujours pas en marche :

  • trop de filières en impasse, parce qu’elles existent depuis toujours, même si la demande en emplois s’est considérablement réduite
  • des programmes qui ne correspondent pas aux réalités du marché du travail : (*) le client n’est pas l’élève, mais l’emploi, la demande réelle du marché. A quoi servent des diplômes ne conduisant à aucun emploi ?
  • une flexibilité totalement décalée avec les cycles technologiques rapides : la durée de formation est trop longue et les diplômés obsolètes lorsqu’ils arrivent pour enfin travailler…
  • une éducation trop centrée sur le savoir, pas assez sur le faire et l’autonomie, encore moins sur les soft skills. Or le savoir, c’est justement ce que les machines peuvent ingurgiter sans peine, à des rythmes effrénés et sans équivalence pour le meilleur cerveau humain…
  • une éducation qui n’anticipe pas assez les métiers de demain : les filières sont bâties par des académies centralisatrices, sans concertation presque avec les cycles économiques et technologiques
  • un observatoire des métiers amenés à disparaître + des métiers/filières qui se développent, sous l’effet accéléré de la technologie = le meilleur moyen d’anticiper les reconversions et les filières d’éducation à créer ou renforcer et d’éviter ainsi la casse dans le travail réalisé par les « humains »
  • un effort naissant mais trop timide, comme expérimental.
  • et pourtant, des résultats édifiants sur la vie réelle, qui transforment des vies entières…La conscience doit l’emporter

Cela me rappelle furieusement ceux qui disaient que le retail avait une longue vie, malgré l’arrivée du e-commerce…Nous voyons aujourd’hui toutes les difficultés à maintenir un retail dynamique, différenciant et compétitif face aux plateformes monstres issues des USA ou de Chine. Une peine à se réinventer parce qu’un déni prononcé et trop long. Parce qu’un refus de voir l’évidence. Et de nombreux morts à la clef. Un temps perdu incroyable et une chute vertigineuse de compétitivité. Impossible de lutter ou presque, lorsque les machines font tout plus vite : profiling, predictive, supply chain, CRM et delivery. Toujours pas très intelligent, mais cette « business intelligence » sert avec efficacité les ambitions les plus débridées.

Enfin, dans le domaine de la recherche qui après tout alimente les entreprises mais aussi les programmes éducatifs, là aussi en dehors des sciences dites « dures » ou fondamentales et même si nous excellons en mathématiques et en sciences de l’ingénieur, les budgets consacrés à ces nouveaux enjeux sont largement insuffisants. Des signaux hors de France sont tout de même perceptiblesHier encore les USA, leaders sur le sujet, ne souhaitent pas se laisser distancer. Comme si on n’y croyait pas vraiment, une autre façon de payer (peu) pour voir…En attendant de devenir un pâle follower et de perdre nos cerveaux pour l’étranger.

Robots plus humains ou humains robotisés ?

C’est hélas le choix cornélien qui s’offre à nous : si l’on n’est pas du côté de ceux qui les conçoivent, il y a des chances que notre métier disparaisse, voire devienne obsolète. Pour le meilleur et pour le pire. Travailler sans fatigue et sans risque, sans erreur devient alors un vrai plaisir, pour finir sans…travail. Mais alors où se trouvera notre valeur ajoutée ? Créer des robots plus humains…qui supplanteront même l’homme augmenté, sans humanité, émotion et discernement.

Et lorsqu’ils existeront, auront-ils encore besoin de nous pour se corriger et inventer les générations futures d’algorithmes ? Il y a fort à parier que non. Je pense que nombre d’entre nous sous estiment la progression exponentielle des capacités mais surtout l’impact colossal sur la société : santé, transports, métiers, éducation, sport, gestion de l’énergie…et enfin guerre, terrorisme et piratage…Notre bonne étoile nous promet encore des lendemains qui chantent en arguant que les métiers de demain n’existent pas encore…Mais quels métiers ? Un esclavage larvé, organisé par des machines d’une part, et des pouvoirs ultra-concentrés d’autre part. Quel avenir délicat…Nous voilà au seuil de servir les machines, quel management nous réservent elles ? Bienveillance ou élimination des plus faibles ? Qui demain, programmera qui ? Un lâcher prise soulageant à court terme, inquiétant à moyen, expérience de mort imminente à long terme…

Oui, l’#IA n’existe pas (encore). Mais elle arrive à grands pas et les effets des machines sont déjà dévastateurs, entre menaces et opportunités. La question de notre destin serait donc en quelque sorte en profitant du meilleur, tout en restant acteur. Mais lorsque les machines seront à leur stade ultime de perfectionnement, elles se réguleront elles-mêmes, créeront leurs propres règles et leur propre monde, sans l’humain être faillible et mortel. Qui peut dire alors ce que sera une humanité sans « humains » ? Cette conclusion fictive ne l’est peut-être pas tant que cela…

Crédit photo : Laurent Blondeau & Personnes photo créé par freepik – fr.freepik.com

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